Qu’est-ce que le micro-crédit Source "Babyloan
► Le contexte
Aujourd’hui, près de trois milliards d’êtres humains vivent avec moins de 2$ par jour, un milliard avec moins de 1$ par jour. Plus de 80% de la population mondiale n’a pas accès aux services financiers et 90% n’a pas accès au crédit.
► La microfinance
La microfinance est un ensemble complet de produits financiers adaptés à des populations à faible revenus, exclues du système bancaire traditionnel. Elle comprend principalement des services de micro-crédit, de micro-assurance, et d’épargne mais aussi d’autres services comme le transfert d’argent. La microfinance est un puissant outil de développement, d’inclusion financière et de lutte contre la pauvreté.
► Le microcrédit
Le microcrédit est un crédit de faible montant, avec intérêt, accordé à des micro-entrepreneurs qui n’ont pas accès aux services financiers traditionnels. Ce type de crédit permet aux populations exclues du système bancaire classique de créer ou développer une activité génératrice de revenus. Le microcrédit crédit peut être individuel ou solidaire (de groupe).
► Les services non financiers
Les services non financiers sont des services complémentaires qui sont proposés aux micro-entrepreneurs auxquels on accorde un microcrédit. Ils permettent d’accompagner les bénéficiaires dans le processus de création ou de développement de leur activité : sensibilisation à différents thèmes, formation, conseil, professionnalisation. Ils comprennent aussi des services parallèles d’éducation, d’alphabétisation, de santé et d’hygiène entre autres.
► Historique
Le microcrédit est une pratique millénaire qui remonte aux temps des Babyloniens. Elle a connu un essor considérable depuis les années 70 sous l’impulsion de Muhammad Yunus, un économiste bangladeshi qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2006. Il est le créateur de la Grameen Bank, qui prête des petites sommes à des femmes bangladeshi exclues du système bancaire traditionnel.
Esther Duflo
Réflexion sur les micro-crédits et la pauvreté.
Esther Duflo a aussi travaillé sur les réponses alternatives au problème de la pauvreté, des réponses davantage fondées sur le marché : microfinance, décentralisation, lutte contre la corruption, discrimination positive, etc. Face à l’échec des politiques de développement traditionnelles, l’idée de responsabilisation des populations pauvres est devenue de plus en plus présente dans les discours et les recommandations : en redonnant de l’autonomie aux pauvres, en les aidant à « s’aider eux-mêmes », on arriverait à de meilleurs résultats. Dans ces nouveaux modèles de développement, les populations pauvres sont incitées à payer leur assurance santé, à financer leur activité par des microprêts, à s’impliquer dans la gestion des biens publics locaux, etc. Esther Duflo s’est interrogée avec ses collègues sur l’efficacité réelle de ces programmes alternatifs, à l’aide de la méthode d’évaluation aléatoire.
Le microcrédit
« Le crédo du microcrédit, qui voit un entrepreneur dans chaque pauvre, ne correspond pas nécessairement à la réalité. Les pauvres, comme les riches affrontent d’autres obstacles qui les empêchent d’épargner, parmi lesquels l’incohérence temporelle et le découragement engendré par la pauvreté elle-même. La microfinance est donc une belle innovation. Il faut continuer à la soutenir [...]. Cependant, il est tout aussi indispensable de rappeler que la microfinance ne peut à elle seule remplacer les moyens traditionnels de lutte contre la pauvreté » (Esther Duflo, La politique de l’autonomie. Lutter contre la pauvreté (II), Seuil, La République des idées, 2010).
Le microcrédit a été avancé comme la solution économique au problème de la pauvreté, mais son efficacité est débattue. Il repose un principe de base : tout pauvre est un entrepreneur né, il suffit de libérer les énergies pour les faire entrer dans le marché et ainsi donner aux pauvres les moyens d’échapper à leur propre condition. Beaucoup d’institutions de microcrédit s’inspirent du modèle original de la banque Grameen, fondée en 1976 par Mohammed Yunus, l’inventeur du microcrédit. Il s’agit de petits prêts accordés principalement à des femmes, par groupe de cinq à dix ; ces femmes sont liées par une responsabilité solidaire ; les remboursements sont hebdomadaires ; les groupes de femmes se réunissent chaque semaine à l’occasion de ces remboursements et peuvent recevoir des formations ; les montants des prêts sont d’abord faibles et augmentent avec le temps ; les taux d’intérêt annuels varient de 20 à 100 %. C’est « sans aucun doute, l’innovation qui a fait le plus parler d’elle dans la lutte contre la pauvreté », affirme E. Duflo début 2010 dans un article du Monde. Le microcrédit a généré à la fois un enthousiasme débordant - comme en témoigne l’attribution en 2006 du prix Nobel de la paix à Mohammed Yunus - et un « retour de bâton » terrible - la microfinance serait une nouvelle forme d’usure.... Au-delà du service financier, les défenseurs du microcrédit voient dans cet instrument un vecteur de développement conduisant les familles à investir dans l’éducation et la santé et permettant d’accroître le pouvoir de décision des femmes. Pour ses détracteurs, il est au contraire une source de surendettement des paysans et de ruine de l’économie locale.
L’évaluation scientifique de l’impact du microcrédit dans la réduction de la pauvreté est en réalité très récente. Deux expérimentations réalisées en Inde (Spandana) et aux Philippines (First Macro Bank) ont montré que le microcrédit permettait aux ménages et aux entrepreneurs d’accéder à plus de biens durables (réfrigérateur, machine à coudre, bicyclette...) et de développer les comportements d’épargne. Cet instrument financier ouvre des opportunités aux personnes privées de l’accès au crédit bancaire classique[3]. Dans les pays pauvres, plus de la moitié des ménages sont à leur compte, particulièrement dans les zones rurales, et ont des besoins de financement qu’ils arrivent difficilement à satisfaire. Grâce aux institutions de microcrédit, ils peuvent emprunter à des taux d’intérêt assez élevés, mais néanmoins bien plus bas que les taux pratiqués sur le marché du crédit informel (ceux des usuriers notamment). Cependant, une étude récente en Inde fondée sur la méthode d’évaluation aléatoire met en évidence un impact limité sur la création d’entreprises et sur le bien-être. Seulement un microcrédit sur six a conduit à lancer une nouvelle activité et la vie quotidienne des familles n’a pas connu de transformation profonde, au moins à court terme : « aucun effet n’a été constaté sur l’éducation, la santé, le pouvoir de décision des femmes ou tout autre indicateur autre que l’impact strictement économique » (E. Duflo, La politique de l’autonomie, Lutter contre la pauvreté (II), p.49)
Une autre limite du microcrédit est qu’il finance en général des microentreprises familiales qui peinent à croître et à se transformer en véritable entreprise créant des emplois. L’une des raisons semble être que la règle de responsabilité solidaire décourage la prise de risque. D’ailleurs cette obligation commence à être abandonnée par certaines institutions. L’autre explication est à rechercher, d’après E. Duflo, dans le manque de fibre entrepreneuriale : dans les pays pauvres, beaucoup de clients de la microfinance sont des entrepreneurs par défaut, ils s’achètent un emploi car ils n’en ont pas mais ils n’ont pas forcément le goût du risque et l’envie de croître.
Les effets du microcrédit apparaissent donc mitigés : s’il est utile, affirme Esther Duflo, il ne constitue pas la recette miracle et ne peut remplacer les interventions traditionnelles de lutte contre la pauvreté, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé.
La gouvernance
La réduction de la pauvreté passe aussi par la lutte contre la mauvaise gouvernance et la corruption, très présente dans les pays en développement. Les plus pauvres, qui n’ont pas les moyens matériels de soudoyer les agents de l’Etat, sont en général les premières victimes de la corruption, définie comme « la situation où un fonctionnaire (ou un élu) enfreint un règlement pour obtenir un avantage personnel » (op. cité, p.62). Détourner des biens ou des fonds publics pour satisfaire des intérêts privés a pour effet de priver les pauvres de l’accès à certaines ressources (cartes d’alimentation, lits d’hôpitaux, soins...). Pour E. Duflo, la corruption est donc plus qu’un simple vol, elle va à l’encontre de l’intérêt général et des efforts consentis pour le développement : « En violant la loi, le fonctionnaire corrompu modifie souvent la manière dont les biens sont alloués en réintroduisant la logique de marché que l’Etat avait tenté de supprimer » (op. cité, p.67). La corruption représente plus généralement un coût social pour l’ensemble de la population, puisqu’elle est en partie responsable de la mauvaise qualité des infrastructures et des services publics, de l’absence de soins envers les vrais malades, de la présence de conducteurs qui ne savent pas conduire sur les routes, etc...
Des expérimentations entreprises dans ces domaines (commissariats en Inde et construction de routes en Indonésie) montrent que la corruption peut être réduite par un contrôle « par le haut », à savoir des audits et des contrôles administratifs. Mais le contrôle « par le bas », le contrôle populaire, par une implication des usagers au niveau local, s’est révélé sans réel impact sur la qualité des services publics et les détournements de fonds. En revanche, combiner audits externes et sanction populaire, en diffusant auprès de la population les résultats des audits de corruption avant des élections, a une nette influence sur les résultats électoraux, puisqu’on constate que les hommes politiques corrompus ont moins de chance d’être réélus.
La décentralisation des décisions publiques fait partie aujourd’hui des solutions privilégiées dans les pays en développement pour lutter contre la corruption et plus généralement pour améliorer la gouvernance locale vers plus d’équité et de justice sociale. Si elle permet d’exercer un contrôle direct sur les élus et de renforcer la cohésion sociale au sein de la communauté, elle n’implique pas automatiquement une bonne représentation des minorités ou des groupes défavorisés (femmes, pauvres, « castes répertoriées » en Inde...) dans les prises de décision et leur participation effective dans les réunions publiques.
E. Duflo s’est demandée, avec d’autres économistes, si les politiques de quotas en faveur des femmes ou des intouchables pour les élections locales en Inde pouvaient améliorer le fonctionnement de la démocratie participative. Dans ce pays, depuis 1993, les conseils locaux, élus au suffrage universel et chargés de gérer des fonds reçus de l’Etat, sont soumis à une obligation de représentation politique des femmes : chaque district doit comprendre au minimum un tiers de femmes et un tiers des districts au moins (choisis au hasard) doit être dirigé par une femme. Une telle obligation existait déjà pour les castes et les tribus répertoriées. Quel est l’impact de ce système de quotas sur les décisions des conseils locaux ? Les expérimentations menées dans 24 Etats indiens mettent en évidence un effet général de redistribution en faveur des minorités. Ainsi, les villages dirigés par des femmes investissent davantage dans des biens et des ressources favorables aux femmes et inversement pour les villages dirigés par les hommes. De plus, il ressort que les décisions prises par des femmes ont perduré dans le temps : par exemple au Bengale occidental où les femmes étaient davantage préoccupées par l’accès à l’eau potable, les investissements élevés dans cette ressource ont été maintenus quand des hommes ont remplacé les femmes à la direction des conseils. La politique de quota a donc un impact sur le bien-être des minorités, ce qui contribue à une plus grande justice sociale. Est-elle susceptible de lutter contre les discriminations et les préjugés envers les femmes ou les minorités ?
Une étude a évalué l’impact de la représentation obligatoire des femmes dans les conseils municipaux sur les attitudes des citoyens vis-à-vis des femmes leaders. En s’inspirant de travaux en psychologie fondés sur les « tests d’associations implicites », elle a d’abord révélé l’existence de forts préjugés envers les femmes politiques, qui ne disparaissent pas avec l’instauration de quotas : les hommes préfèrent que les femmes restent à l’écart du pouvoir. Mais l’expérience semble jouer en faveur d’une perception positive des compétences politique des femmes. Une mesure de la discrimination statistique envers les femmes, au moyen d’une technique inspirée de la recherche en science politique, a établi que dans les villages « réservés », où une femme avait déjà été leader, les hommes perdent leurs préjugés sur l’incompétence des femmes et celles-ci ont plus de chances d’être élues au conseil et de le diriger. Une fois de plus, la présence d’effets d’expérience et d’apprentissage plaident pour des incitations et des interventions ciblées, susceptibles de changer durablement les opinions et les choix dans un sens plus favorable au développement.
En somme, pour Esther Duflo, croire qu’une politique de responsabilisation des plus pauvres, par la microfinance, l’assurance ou encore le contrôle local, va résoudre l’ensemble des problèmes de pauvreté est illusoire. Celle-ci ne doit pas aller trop loin et doit être accompagnée d’interventions publiques efficaces pour offrir des services d’éducation, de santé et des infrastructures de qualité. Comme le souligne l’économiste, dans les pays pauvres, les populations sont déjà plus responsables de leur vie que dans les pays riches, elles sont contraintes de prendre plus de décisions, tout en étant soumises à de multiples risques contre lesquels elles ne sont pas protégées. « Paradoxalement, ajoute-t-elle, plus une société s’enrichit, plus ses membres sont pris en charge quant aux décisions importantes de leur vie quotidienne »