Violences

par christian

Il ne serait pas honnête d’imputer à l’ordre actuel du monde toute la violence qui a rarement été aussi présente et aveugle. Il ne le serait pas plus de nier catégoriquement, contre toute évidence les rapports de cause à effet entre les politiques extérieures des plus riches pays du globe, le pillage des ressources, l’asservissement des peuples, la misère, l’injustice et le développement des tentations barbares qui touchent les pays riches comme les autres.

Quand un bonze s’immolait par le feu sur une place de Saïgon, la triste nouvelle faisait le tour du monde et tous les peuples en étaient émus ; quand une voiture bourrée d’explosifs tue ici ou là plusieurs dizaines de personnes, il n’y a plus qu’un entrefilet dans les journaux. Quand à Srebrenica 7000 personnes sont massacrées, des dizaines de milliers en Tchéchénie, pays réduit à l’état de ruines, au Congo Kinshasa, ex-empire colonial européen, près de 3 millions de victimes directes ou indirectes ( 2001) , des centaines de milliers de victimes au Ruanda, ex-autre-empire… des centaines de milliers de victimes en Irak ( embargo, bombardements ou attentats) : ces génocides ont-ils eu dans les média la place que leur ampleur et leur férocité imposait ? Le fait que certaines victimes soient de fait considérées comme « plus importantes que d’autres » relève du cynisme qui prévaut dans notre monde. C’est une autre illustration du fossé qui se creuse entre les deux mondes.

7000 personnes meurent chaque jour du sida en Afrique. Deux attentats de New York tous les jours. Peu de moyens de prévention, une personne sur 1000 a accès aux soins. « Aux niveaux actuels d’intervention, le nombre des Africains morts du Sida d’ici dix ans, dépassera probablement la population totale de la France. A une telle échelle, la non assistance à population en danger constitue en soi un formidable crime contre l’humanité. » écrit Gilbert Achcar. ( Le choc des barbaries) Qui s’en soucie ? On peut comparer ces quasi silences américain comme européens, avec la formidable médiatisation des attentats de New York, tout aussi imbéciles et barbares cependant. Information à géométrie variable qui nous dit clairement où est le mal : éthique à la carte. Chacun sait bien quelles guerres ont pour but de dominer telle ou telle région du monde riche en matières premières ou en pétrole…

Barbarie contre barbarie.

« A chaque civilisation sa barbarie : les uns coupent les gorges, méthode traditionnelle du meurtre en Afghanistan, transposée en Algérie par les vétérans de la guerre contre les soviétiques, et symbolisée par les cutters des kamikazes du 11 septembre, les autres « coupent les marguerites », c’est à dire qu’ils tuent massivement à distance, au moyen des « daisy cutters » ; les bombes conventionnelles ( 7 tonnes environ), les plus meurtrières qui existent, les uns détournent des avions de lignes pour s’en servir comme missiles dans l’assassinat de civiles, les autres larguent des missiles de croisière, en des frappes « chirurgicales »qui sont à la chirurgie ce que la tronçonneuse est au bistouri ».( P. 109). Pour les uns c’est un groupe cagoulé qui menace de couper la tête à une victime, pour les autres c’est une sorte de feu d’artifice qui éclaire le ciel nocturne. Devrons-nous nous habituer à ce monde ? Aux enfants brûlés au napalm, écrasés dans les ruines, défigurés ou handicapés à vie par les mines antipersonnel…ou mourant de faim tandis que l’Amérique et l’Europe regorgent de stocks de nourriture ?

« Pris individuellement, chaque acte barbare peut être considéré comme également condamnable d’un point de vue moral : aucune éthique civilisée ne saurait justifier l’assassinat délibéré, ciblé ou à l’aveuglette de non combattants et d’enfants, par le terrorisme étatique ou non gouvernemental. La cause est généralement entendue lorsqu’il s’agit du meurtre intentionnel de civils dans le but de semer la terreur. Elle devrait l’être aussi lorsque le meurtre de civils est la conséquence que l’on sait, par avance, inéluctable, d’une attaque contre les combattants que n’impose pas une nécessité impérieuse. La notion de « dommages collatéraux » appliquée par le Pentagone aux victimes civiles de ses bombardements, outre le fait qu’elle constitue une banalisation cynique du meurtre d’innocents, n’est qu’une tentative hypocrite d’excuser les meurtres qui résultent de recours répétés à la force militaire - qui sont tout simplement criminels, lorsqu’ils ne sont pas le seul recours possible et qu’ils aboutissent à supprimer plus de vies humaines qu’ils en préservent. » P. 113.

G. Achcar se demande plus loin, si parmi les barbaries, toutes inhumaines, inacceptables, la plus barbare n’est pas, d’un point de vue moral, sauf en cas d’irrationalité avérée, celle des forts, qui maintiennent les plus faibles dans un état d’oppression. La barbarie des faibles étant souvent une réaction à celle des forts. « C’est d’ailleurs pourquoi les forts cherchent à cacher leur culpabilité en prêtant une nature démentielle, démoniaque, et bestiale à leurs ennemis. »

Le dieu Pétrole. Violence aveugle et calculs égoïstes.

Dans le chapitre 2 de son livre ( Pétrole Religions fanatisme et apprentis sorciers)G. Achcar analyse les rapports étroits entre les ressources pétrolières, l’action gouvernementale des USA, les multinationales pétrolières et marchands d’armes et les financiers internationaux et la montée du fanatisme religieux.

« Dérèglementation, libéralisation des échanges et privatisation sont les maîtres mots de cette mondialisation néolibérale, qui a produit une formidable anomie(1), d’un degré historiquement inégalé à une telle échelle . [ … ] ce contexte a grandement favorisé la montée du terrorisme, du crime international et de trafics divers qui constituent bien « la face cachée de la mondialisation » comme l’a si bien dit un membre de l’administration Clinton. » (P. 147.)

(1) On entend par « anomie » l’Etat de sociétés caractérisées par une désintégration des normes qui règlent la conduite des hommes et assurent l’ordre social ». cette anomie est en partie le résultat de l’immense fossé qui s’est creusé entre les deux mondes.