Laferrière Dany
La chair du Maître Dany Laferrière (Editions Lanctot) ( Ed Serpent à plumes Paris Collection Motifs)
L’Enigme du retour Dany Laferrière. Prix Médicis 2009.
Par Junior Phanord.
Junior Phanord est né à Saint Marc ( Artibonite. Haïti.)
Après des études à l’Ecole Normale Supérieure de Port au Prince il est venu à Lyon en 2006 pour terminer ses études de Philosophie. Il termine actuellement une thèse de Doctorat à l’Ecole Normale Supérieur de Lyon. ( « Pouvoir et Opinion Publique » dans l’œuvre de Rousseau.)
Junior est membre du Conseil d’administration de l’Association Enfants-Soleil Bourgogne.
Dany Laferrière, L’énigme du retour, Grasset. Paris : 2009.
Junior Phanord
De toute sa vaste « autobiographie à l’américaine », cette pièce est ma préférée. L’énigme du retour est une délicieuse poésie qui permet à Dany Laferrière de faire naître sous nos yeux un minutieux labyrinthe de formes, d’odeurs et de couleur où se croisent des montagnes, des rivières, des plantes, des poules noires, des cimetières vivement colorés, des voix innombrables, des dieux, des « jeunes filles en fleur », des jeunes gens en instance d’exil, des mondes qui ne cessent de renaître à l’infini. Une prodigieuse fresque faite de petits portraits d’un retour à mi-chemin entre déception et espérance. Un pur bonheur d’écriture sous le patronage bienfaisant des Cahiers de Césaire.
Le roman est matériellement divisé en deux parties d’inégales longueurs. La première partie, intitulée « Lents préparatifs de départ », est composée de 14 petits chapitres (écrits sous forme de haïku japonais), est une manière d’introduction à la partie principale (Le retour) qui occupe les ¾ du roman (avec une cinquantaine de petits chapitres). Composé tout entier en vers libres, la structure du roman est très souple. C’est une promenade douce et légère qu’on fait sans s’arrêter par une belle « après-midi sans fin » ponctuée de fine pluie et de soleil.
Tout commence par un coup de fil au milieu de la nuit qui annonce à Dany le décès de son père dont l’ombre va hanter chaque page du roman. Windsor K., le père de Dany était l’un de ces nombreux exilés du pouvoir sanguinaire de Duvalier père.
« La nouvelle coupe la nuit en deux.
L’appel téléphonique fatal
Que tout homme d’âge mûr
Reçoit un jour.
Mon père vient de mourir. »
L’auteur est encore enfant quand son père dût quitter « le feu » d’Haïti pour « la glace » de New-York. Ce père que l’auteur n’aura jamais vraiment connu a enterré ses rêves dans la vieille valise déposée à la Chase Manhattan Bank, sa famille et son pays sont morts dans un coin de ses oublis. De nombreuses années ont passé. Marie attend encore à Port-au-Prince de pouvoir « toucher le visage » de son mari avant de mourir. Elle a toujours vécu dans cette attente. Elle a choisit de ne pas rejoindre son mari à New-York afin d’élever les enfants au plus près des racines ancestrales. Mais depuis, l’auteur aussi a dû prendre le chemin de l’exil, chassé par le fils de celui qui a chassé son père. Les Duvalier (père et fils) ont privé Marie des deux hommes de sa vie (son fils et son mari). Son existence est rythmée par cette double attente. C’est à cette femme que Dany devra bientôt annoncer la mort de son père. Le roman n’est pourtant pas triste. Ici, on « danse la tristesse ». La dignité et la « tenue » en toute circonstance, voire surtout dans l’épreuve est le crédo de Marie. C’est aussi le crédo de ce peuple en lutte pour la décence. L’auteur va profiter de cette délicate mission pour nous faire visiter les lieux de sa jeunesse, et nous livrer des clés de la vie en Haïti où l’esthétique de la souffrance se révèle être un magnifique outil de résistance. Il s’agit d’être beau et fier au nez et à la barbe de ceux qui veulent nous « zombifier » !
Par un astucieux système de vases communicants, l’auteur s’ingénue à mettre en écho les discours de diverses générations (son père et ses amis, lui-même et le souvenir de ses camarades, son neveu et le rêve des jeunes étudiants) sur la situation du pays et ses chances de survie. La scansion des dialogues avec le neveu (qui s’appelle Dany aussi) permet à l’auteur d’aborder avec beaucoup d’acuité l’un des problèmes les plus sérieux de l’avenir du pays à savoir la posture d’une jeunesse en instance d’exil. Une jeunesse en situation de passage dans son propre pays.
La rencontre successive des anciens amis de son père est aussi l’occasion d’une autre mise en écho, celle des contractions, des espérances, et des déceptions d’une société en situation de ratages perpétuels. La tension est palpable dans ces espoirs mort-nés qui hantent les espérances de ce peuple en souffrance. Une main invisible agirait à l’insu des pseudo-acteurs de la vie publique. François et Gérard, deux anciens amis du père de l’auteur symbolisent cette tension. François s’exile à l’intérieur du pays à la suite de la mort de Jacques, « le meilleur » de la bande des quatre. Gérard prend acte de l’impossibilité de la réalisation de ses rêves de jeunesse, et s’enrichit à l’occasion de ses différentes fonctions de Ministre. C’est un ex-révolutionnaire qui roule en « Buick 57 » et qui vit dans un « musée à soixante-dix ans ». Résignation et opportunisme semblent être les seules issues. Le roman ne sombrera pourtant jamais dans la plainte malgré le spectacle d’un quotidien alarmant.
Au hasard de ces petits « arrêts sur image » de la réalité mouvante d’Haïti que constituent les différentes petites pièces du roman, nous sommes promenés dans toutes les strates de la société. Nous visiterons des marchés, et des cimetières, une ville bavarde et des routes désertes. Nous irons chez le très riche et le trop pauvre. Nous rencontrons deux anciens professeurs de lycée qui dialoguent en grec dans le fin fonds d’un village du Sud. Nous rencontrons une jeune docteur en Médecine diplômée de Harvard venue célébrer son doctorat avec sa famille sous le péristyle de son père (qui souhaite la « marier » à un Loa). Nous rencontrons une femme et son fils, venus de Brooklyn, pour enterrer son mari, qui n’a jamais voulu quitter le pays. Nous rencontrons Gary Victor avec qui l’auteur discute du projet du « Grand roman haïtien » qui porterait sur la « faim » en tant qu’elle est la réalité qui scande la vie du peuple haïtien comme la guerre a rythmé la vie en Europe. Nous rencontrons aussi l’ « ogre Frankétienne », agréablement surpris par la question du chauffeur de l’ex-ministre qui accompagne Dany sur le sens du « roman-opéra » qu’il a en chantier. Cette question vaudra au chauffeur un tableau du maître.
L’auteur passera ainsi en revue des thématiques d’actualité et de société. Le kidnapping qui devient un métier lucratif et une manière de règlement de compte entre gens fortunés. Le désir et la recherche de reconnaissance d’une population en poids à toute sorte de doute (les nombreuses personnes qui se présentent à l’auteur pour se rappeler à son bon souvenir…) Les antagonismes du pouvoir en place et l’Université. La faim. Les infrastructures inexistantes ou défectueuses. Rien n’échappe à l’œil perçant de l’auteur. Le vaudou n’est jamais loin. Le mystère est le dernier mot de chaque question. Le chauffeur qui accompagne Dany symbolise bien ce topos.
L’auteur réapprend son pays au péril d’y être un étranger. Ce danger de la définition de sa propre identité dans le projet de retour n’en est pas la moindre des énigmes. Nous le suivons, avec plaisir et reconnaissance, dans ce périple plein de charme où on a l’impression d’être toujours en chemin. Il traite de la problématique de l’exil et du retour dans une perspective plurielle. L’exil est à la fois externe (celui de Dany et de son père) et interne (celui de François, le meilleur ami du père de Dany réfugié dans l’anonymat de la campagne). Le retour est quant à lui physique (celui de Dany et de l’ancien interprète de l’Unesco) et mystique (les funérailles solitaires et symboliques que Dany offre à son père dans le petit cimetière du village natal de ce dernier.)
Cette façon multidimensionnelle d’aborder l’exil et le retour, couplée à l’analyse de la situation de ceux qui ne verront jamais d’autres cieux que ceux de l’île, garde au roman toute la force de l’interrogation profonde. Après le « Dernier sommeil », l’énigme reste entière. Comme reste entier le mystère de cette valise déposée dans les coffres d’une banque de New-York par le père de l’auteur, et que celui-ci n’arriva pas à récupérer. L’auteur n’a pas de leçon à donner. Il n’enseigne pas. Il expose. Il expose la beauté que la misère n’arrive pas à effacer, il expose la joie que la souffrance n’arrive pas à taire. Il expose le rêve de vie qui s’épanouit dans les tableaux exposés en pleine rue, et dans les ateliers, ce rêve qui danse dans nos péristyles. Il expose le charme et le rêve d’un peuple artiste, qui croit résolument en la vie. L’espoir c’est aussi cette jeunesse cultivée qui rêve d’un « retour » au pays. L’énigme du retour est factrice d’espoir…
J’ai envie de dire Merci Dany !
Dany Laferrière. (Wikipédia)
Dany Laferrière, né Windsor Klébert Laferrière est un intellectuel, écrivain, et scénariste du continent américain (québécois-haïtien-floridien), né à Port-au-Prince le 13 avril 1953. Il partage sa vie entre Montréal et Miami. Son activité d’écriture est à saveur autobiographique. Il reçoit le Prix Médicis 2009 pour son roman L’Énigme du retour.
Biographie
Né à Port-au-Prince le 13 avril 1953, Dany Laferrière passe son enfance à Petit-Goâve avec sa grand-mère, Da (un des personnages marquants de son œuvre), où sa mère, Marie Nelson, l’envoie vers l’âge de quatre ans par crainte qu’il ne subisse des représailles de la part du régime de François Duvalier (Papa Doc), en raison des idées politiques de son père, Windsor Klébert Laferrière (maire de Port-au-Prince, puis sous-secrétaire d’État au Commerce et à l’Industrie), alors en exil. À onze ans, il retourne vivre avec sa mère à Port-au-Prince, où il fait ses études secondaires. Il devient ensuite chroniqueur culturel à l’hebdomadaire Le Petit Samedi Soir et à Radio Haïti-Inter. Le 1er juin 1976, son ami journaliste Gasner Raymond, alors âgé de vingt-trois ans comme lui, est assassiné par les Tontons Macoute. À la suite de cet événement, craignant d’être « sur la liste », il quitte de manière précipitée Haïti pour Montréal, n’informant personne, à l’exception de sa mère, de son départ. En 1979, il retourne pendant six mois à Port-au-Prince et y rencontre Maggie, sa conjointe avec qui il a eu trois filles – la première (Melissa) est née à Manhattan, où vivait alors Maggie, les deux autres (Sarah et Alexandra) sont nées à Montréal.
Lors de son arrivée à Montréal en juin 1976, il habite rue St-Denis et travaille entre autres dans des usines, jusqu’en novembre 1985, date à laquelle est publié pour la première fois un de ses romans, intitulé Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, qui lui donne une visibilité immédiate dans les médias et qui sera adapté pour le cinéma par Jacques W. Benoît en 1989, en plus d’être traduit en de nombreuses langues. Par la suite, il travaille pour diverses stations de télévision en tant que chroniqueur, ainsi qu’en tant qu’annonceur météo, tout en continuant son activité d’écriture à saveur autobiographique.
À partir de 1990, il vit à Miami avec sa famille en poursuivant son travail d’écriture, puis il se réinstalle à Montréal en 2002. À l’été 2007, il propose une chronique matinale sur Radio Canada (vers 8h15 - 14h15 heure de Paris). Il est maintenant chroniqueur à l’émission de Marie-France Bazzo, Bazzo.tv, où il occupe le poste d’éditorialiste. Le mercredi 4 novembre il reçoit le Prix Médicis.
Les Oeuvres de Dany Laferrière.
Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, Montréal, VLB Éditeur, 1985.
Éroshima, Montréal, VLB Éditeur, 1987.
L’Odeur du café, Montréal, VLB Éditeur, 1991.
Le goût des jeunes filles, Montréal, VLB Éditeur, 1992.
Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit ?, Montréal, VLB Éditeur, 1993.
Chronique de la dérive douce, Montréal, VLB Éditeur, 1994.
Pays sans chapeau, Outremont, Lanctôt Éditeur, 1996.
La Chair du maître, Outremont, Lanctôt Éditeur, 1997.
Le Charme des après-midi sans fin, Outremont, Lanctôt Éditeur, 1997.
Le Cri des oiseaux fous, Outremont, Lanctôt Éditeur, 2000.
Vers le sud, Montréal, Boréal, 2006. (Ce roman était en lice pour le Prix Renaudot 2006)
Je suis un écrivain japonais, Montréal, Boréal, 2008.
Laferrière Dany
La chair du Maître (Editions Lanctot) ( Ed Serpent à plumes Paris Collection Motifs)
L’adolescence, la jeunesse, sont les armes les plus dangereuses, les plus inoffensives des villes. Becky et Flora, Moïra, Missie, Anabel, Nancy, Judirh, Niki, Rebeca, Clémentine, voici quelques silhouettes, regards, corps, qui vibrent dans ce roman, dans les bars, les appartements,, les répétitions d’une pièce de théâtre. Ils y seront tour à) tour le chasseur ou la proie, mais toujours au cour même d’une séduction vécue comme une chasse.
Dans un Port au Prince qui ressemblerait à n’importe quelle ville américaine, ni plus ni moins exotique, la jeunesse aux dent longues expérimente le désir. La sensualité permet toutes les transgressions, que le noir s’associe au blanc, que le riche désire le pauvre.
Avec son style si personnel fait d’ironie mordante, de poésie, Dany Laferrière signe ici une nouvelle toile, le vaste tableau - aux couleurs dites naïves des peintres haïtiens - qui va de la traque amoureuse à la dévoration orgasmique.