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Article du Nouvelliste sur la situation en cette fin d’octobre.
Entre tueries et désespoir.
Double drame. Les gangs règnent en maîtres sur une bonne partie de Port-au-Prince que la Police nationale d’Haïti (PNH) et les Forces armées d’Haïti (FAD’H) ne parviennent plus à tenir. Ces criminels, dans la plaine du Cul-de-Sac, comme dans les hauteurs de Pétion-Ville, font plus que tuer. Ils distillent la peur dans les cœurs, imposent l’omerta, comme si le sang devait s’abreuver de silence.
Publié le 2022-10-24 | lenouvelliste.com
Mi-octobre, le Village artistique de Noailles, ses artisans, habitués aux attaques, ont cette fois reçu le ciel sur la tête. De certains de ses 75 ateliers, il ne reste que des pans de murs avec des impacts de projectiles, des tôles calcinés, des marteaux et burins orphelins des mains expertes qui donnaient forme au métal dans ce creuset de la création artisanale.
L’agitation des ateliers, le bruit des meuleuses ont fait place net au silence. Et à l’odeur de cadavre en décomposition. Le fossoyeur sous-traité par la mairie de Croix-des-Bouquets qui a recueilli le 18 octobre les cadavres de cinq hommes et celle d’une femme le 21 octobres, tous tués par balles, a confié au Nouvelliste ce lundi 24 octobre n’avoir pas pu collecter un cadavre en décomposition à Noailles. « Il y a trois cadavres en décomposition. L’un près du terrain, un autre non loin du musée… », a témoigné une femme qui a tenté, en vain, hier dimanche, lors d’une accalmie, de revenir à Noailles pour récupérer ses affaires non dévorées par les flammes.
« C’est possible qu’il y ait plus de personnes tuées lors de ces affrontements, a indiqué l’agent exécutif intérimaire de Croix-des-Bouquets, Jean Wesnel Edrouine. Des témoins ont indiqué que les hommes de Vitelhomme sont partis avec des cadavres. Soit pour les carboniser soit pour faire des sacrifices », a-t-il dit, accroché cependant au décompte basé sur les cadavres récupérés.
Pour les survivants, c’est l’exode forcé, comme c’était le cas à Martissant mi-2021, à Cité Soleil, à Pernier et dans tant d’autres quartiers tombés aux mains des bandits. La PNH, comme souvent, est aux abonnés absents, quand un de ses blindés patrouille dans ces secteurs où des projectiles de 5,56, de 7,62 millimètres ont des ailes. « Nous avons dû fuir pour échapper à la mort », a confié une artisane, lundi 24 octobre 2022. Réfugiée chez un proche avec 15 autres membres de sa famille, elle campe l’horreur, ces secondes qui durent une éternité quand, autour du 17 octobre et après, les éléments du gang de Vitelhomme ont traversé la Rivière Grise, la localité de Digneron pour s’attaquer aux positions tenues par le gang 400 Mawozo à Noailles et Nan Rémy. « Il y a eu beaucoup de morts », a indiqué cette femme dont le compagnon, interrogé en fin d’après-midi, s’accroche à un mince espoir d’un retour à la paix, de trêve entre les gangs rivaux. « Le conflit a éclaté après que deux hommes chers à Vitelhomme ont été abattus par le gang 400 Mawozo. Le gang 400 Mawozo avait également kidnappé des employés du Parc industriel de Digneron », a-t-il expliqué, off the record, pour des raisons de sécurité.
Le sang et le silence
L’omerta est aussi la règle un peu plus au nord de Croix-des-Bouquets, à Bon Repos, comme si le sang devait s’abreuver du silence des victimes et de leurs parents, pour éviter des représailles. Ce lundi, 72 heures après le carnage perpétré à Carrefour Saint-Marc, c’est motus et bouches cousues. Il n’y a même pas de revendications, de complaintes, de demandes que justice soit rendue. Rien de tout cela. On se contente de pouvoir enterrer ses proches dans « la dignité », ici où les cadavres sont souvent emportés ou brulés, a témoigné à mots feutrés un des rares interlocuteurs de Le Nouvelliste. « Atè a pyeje », avait lâché un chauffeur de moto d’une trentaine d’années rencontré sur place, peu après les faits.
Carnage à Bon-Repos
Autour de 13 heures 30 p.m, au niveau du rond-point de Bon Repos, au moins deux personnes ont été tuées. « Le corps inerte d’un individu de sexe masculin répondant au nom de Samy Mercier, âgé de 45 ans, ayant une grande cavité au niveau de son crâne et celui de Anold Adjilien, âgé de 38 ans, ayant un orifice ressemblant à un impact de balle au niveau de sa tête, gisaient chacun dans un bain de sang », a confié à Le Nouvelliste au Gimcis Geoassaint, juge de paix de Croix-des Bouquets, assisté du greffier Alfred Dorelian, qui a fait le constat légal des cadavres. « Avant notre constat, vers trois heures, au moins un blessé grave a été déplacé par ses parents », a précisé le juge de paix qui était accompagné des agents de la Police nationale d’Haïti affectés au sous commissariat de police de Bon Repos.
Un peu plus à l’est, vers Onaville ( en direction de Morne-à-Cabris), cet escadron de la mort a poursuivi son œuvre funeste en tirant dans le tas. Au moins six autres personnes ont été tuées à la station de Hinche, chef-lieu du département du Centre. Télégraphique, le constat du juge, là encore, détails les blessures mortelles infligées. « Le corps inerte d’un individu de sexe masculin répondant au nom de Evens Surin, ayant une grande cavité à l’arrière de son crâne ; le corps inerte d’un individu non identifié, de sexe masculin, ayant un orifice ressemblant à un impact de balle au niveau de son dos ; de Falco, ainsi connu, ayant des orifices ressemblant à des impacts de projectiles au niveau de son bras droit, de son pied droit et de son abdomen ; de Eva Ravix, ayant des orifices ressemblant à des impacts de balles au niveau de sa tête et sa fesse côté gauche ; de Kessy Colas, âgé de 42 ans, ayant un orifice ressemblant à un impact de projectile au niveau de son crâne ; de Francillon Ronald, âgé de 43 ans, ayant des orifices ressemblant à des impacts de balles au niveau de sa poitrine et de son crâne ; ont été constaté », a rapporté le juge Gimcis Geoassint.
Peregrination pour un cadavre
Ce carnage, le partage des photos de ces personnes gisant au bout de leur sang, ont provoqué une vive tension à Bon Repos, en plaine du Cul-de-Sac où les bandits font aussi la loi, volent, tirent et tuent, s’affrontent à l’armes automatiques pour le contrôle de territoire non tenue par la PNH et les FAD’H. Les parents des victimes sont aux abois, se voient imposer l’une des pires épreuves qui soit : rechercher le cadavre d’un parent assassiné.
Comme tant d’autres personnes avant elle, Bernadette Mercier, rencontrée au sous-commissariat de Bon Repos, cherchait encore le salon funéraire où était acheminé le corps de Samy, son frère, mécanicien et chauffeur de moto, résident de Corail. « Mon frère est quelqu’un qui se battait pour subvenir aux besoins de sa famille. Il n’est jamais impliqué dans des actes louches. C’est un bosseur, un rude travailleur », a déclaré Bernadette Mercier, des sanglots dans la voix. La plupart des victimes, a appris Le Nouvelliste, sont des chauffeurs de mototaxi. Les autres sont passants, des propriétaires de petites entreprises spécialisées dans la vente des pièces de rechange pour autos et motocyclettes au profit des habitants de l’entrée Nord de Port-au-Prince où règne un climat presque aussi lourd qu’à l’entrée Sud, coupée depuis plus d’un an des quatre départements du grand Sud à cause de la guerre que se livrent des gangs sanguinaires.
En plaine, en mer et dans les hauteurs
Sous la férule du redoutable gang « Izo 5 secondes », des alliances sont nouées avec les gangs de Canaan. Outre la nationale # 1, les bandits, de véritables pirates, se sont mis à écumer la mer. Les propriétaires d’une cargaison de produits alimentaires à destination de La Gonâve ont fait l’amère expérience de se faire dépouiller il y a quelques jours. Dans les hauteurs de Pétion-Ville, jadis lieu de villégiature, d’autres gangs ont fini d’installer la terreur. « Je n’ai pas entendu de tirs aujourd’hui. Souvent, les gens sont cloitrés chez eux. On ne sait jamais quand Ti Makak et ses hommes attaquent », a confié un résident de Laboule 12. « Devant, à l’intersection de Laboule 12 et de la route de Kenskoff, l’antenne de police est fermée », explique-t-il, soulignant que les marchandes, les chauffeurs de taxis-moto vivent avec la peur au ventre. Il y a peu plus d’une semaine, au moins trois chauffeurs de taxis-motos ont été abattus de sang-froid. « Là-haut, la minute d’après est pleine d’incertitude », a expliqué une autre source, témoin il y a quelques semaines d’une rafle, l’interception à Laboule 12 de cinq véhicules. « Si l’on part du principe que chaque véhicule a un conducteur, il y a eu au moins cinq personnes kidnappées », a poursuivi cette source entre impuissance et indignation. Il y a ceux qui se terrent. Il y a aussi ceux qui ont décidé de partir, de laisser Laboule 12, de quitter le pays, a expliqué cette source, loin d’être rassurée après l’attaque contre le sous-commissariat de Thomassin 25. « Cela a été un tournant », a poursuivi cette source alors que la PNH a commencé la réception de véhicules blindés pour renforcer ses capacités opérationnelles, en attendant l’arrivée de l’assistance militaire non refusée mais pas encore envoyée.
Course contre la montre
Mais entre-temps, la conquête ou le maintien au pouvoir est au sommet de l’agenda de beaucoup de politiques dont certains, de véritables casseurs, sont biberonnés aux idéaux anarchistes et anti-occidentaux. Cela fait près d’un mois et demi que le terminal pétrolier de Varreux contrôlé par le G-9 dont le chef, Jimmy Chérizier, a été sanctionné par la résolution voté vendredi 21 octobre par le Conseil de sécurité de l’ONU.
A cette réunion, le représentant d’Haïti, l’ambassadeur Antonio Rodrigue avait indiqué qu’il y a une course contre la montre pour éviter le pire. « Il s’agit d’un pays qui chaque jour s’enfonce davantage dans le chaos ; il s’agit de la vie de milliers de gens qui est en jeu. Chaque jour de perdu pour apporter une réponse adéquate à cette situation, ce sont des victimes innocentes de trop qui tombent. Agissons vite et avec efficacité ! », avait appelé l’ambassadeur Antonio Rodrigue, représentant d’un gouvernement dont les préposés à la sécurité, après avoir gavé le pays de promesses de mettre hors d’état de nuire les gangs, ont quasiment disparu des radars, bien planqués derrière leur petit doigt en espérant que les "Blancs" débarquent au plus vite.
Choléra : une nouvelle menace sanitaire qui se confirme.
(Le Nouvelliste" du 27 octobre.)
Le manque d’eau potable, les détritus dans les villes non évacués depuis des semaines, les hôpitaux qui ferment faute de médicaments et d’énergie, tout est en place pour une épidémie dramatique.
Relégué au second plan face aux multiples crises qui dominent l’actualité en Haïti, le choléra poursuit son chemin, laissant sur son passage plus d’un milliers de malades et une cinquantaine de personnes décédées en moins d’un mois.
"Toute personne présentant une diarrhée aiguë aqueuse, profuse, avec ou sans vomissements, avec ou sans déshydratation, est considérée comme un cas suspect", selon la Direction d’épidémiologie, des laboratoires et de la recherche du MSPP.
Depuis le 1er octobre 2022, 2 274 personnes correspondent à cette définition de cas. De ce nombre, 253 ont été confirmés par une culture positive pour le vibrio cholerae ou par lien épidémiologique, 1 642 ont été hospitalisés, pour un total de 52 décès.
Toujours selon le dernier bulletin du MSPP publié ce 26 Octobre 2022, 271 cas suspects et 14 décès ont été dénombrés à la prison civile de Port au Prince.
Deux faits retiennent l’attention dans le bulletin : "la distribution des cas suspects cumulés par tranche d’âge et la distribution des cas par département."
Plus de 1000 cas suspects ont été répertoriés chez les moins de 15 ans. Une situation qui ne cesse d’inquiéter les épidémiologistes et les spécialistes en maladies infectieuses.
Il y a une semaine le Dr Jean William Pape avait illustré la gravité de la situation en informant que sur 79 patients vus dans une garde au centre de traitement de choléra des centres Gheskio, 54 étaient des enfants.
"Parmi les enfants, on a 39 entre O-5 ans, dans cette tranche d’âge on a 3 enfants avec malnutrition aiguë sévère et un choc septique", avait-il révélé.
Pointant du doigt, l’insécurité et la pénurie de carburant, le Dr Jean William Pape avait préconisé un renforcement des campagnes de sensibilisation et la prise de sérum oral avant même de se rendre dans un centre de traitement de choléra pour les cas suspects.
Autre fait marquant du bulletin épidémiologique du MSPP, c’est la propagation du choléra dans 8 départements du pays. Le Nord et le Sud-Est sont les seuls départements absents dans la distribution des cas suspects, testés et confirmés par le MSPP.
"Je crains que le grand public ne soit pas conscient de la gravité actuelle de la situation en Haïti", a déclaré Conor Shapiro dans The Boston Globe, le 23 octobre 2022. Président et chef de la direction de l’association caritative Health Equity International, basée à Newton, qui soutient l’hôpital Saint-Boniface à Fond-des-Blancs, il croit que c’est la pire crise humanitaire à laquelle son organisation est confrontée en Haïti. « Nous avons affronté des tremblements de terre ; nous avons affronté des ouragans. Ceux-ci étaient horribles. ... C’est, croyez-le ou non, la pire crise humanitaire à laquelle nous ayons été confrontés en tant qu’organisation. »
Presque tous les hôpitaux et cliniques du pays ont fermé parce qu’ils ne peuvent pas obtenir de carburant ou de médicaments, et en même temps, le choléra a éclaté, a déclaré Shapiro. Saint-Boniface est resté ouvert grâce aux efforts héroïques du personnel haïtien de l’hôpital, mais on ne sait pas combien de temps ils pourront tenir, a-t-il dit.
Dans le bulletin du 26 octobre 2022 de l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS/OMS), le nombre de cas suspects en Haïti est estimé à 2243. L’OPS/OMS a mis en exergue les difficultés auxquelles les autorités sanitaires, qui ont déjà ouvert plusieurs centres de traitement de choléra, font face.
"Le transport des échantillons provenant d’autres départements, notamment de l’Artibonite et des départements du Sud vers le Laboratoire national de santé publique (LNSP) reste difficile en raison des barrages routiers et du manque d’accès au carburant."
Par ailleurs, au moins un cas de choléra a été confirmé en République dominicaine depuis la résurgence de l’épidémie en Haïti, selon l’OPS/OMS.