Après l’assassinat de Samuel Paty

par Gérard

J’ai été professeur dans ce collège du Bois d’Aulne.
L’assassinat de Samuel Paty a eu lieu près de chez nous, là où se trouve le siège social de notre association. Je suis comme vous atterré par cette barbarie.

Je me sens aujourd’hui, par l’incompréhension, par la douleur, par la colère, si proche de la famille, des collègues, des amis, de tous les enseignants de ce pays qui ont été touchés de près ou de loin par cette tragédie.
L’école, la colonne vertébrale de notre belle république, le droit pour les enfants d’ici et d’ailleurs de recevoir un enseignement qui fasse d’eux des êtres libres, capables de penser par eux-mêmes, capables de devenir des femmes et des hommes à part entière, capables de respecter leurs semblables et les valeurs fondamentales qui seules permettent à tous de vivre ensemble sur cette terre, c’est ce pour quoi nous nous sommes battu depuis des années, de nombreuses années…toute notre vie d’adultes.
Lorsque, loin de chez nous, des êtres humains, des défenseurs des droits universels, sont assassinés pour ce qu’ils pensent, parce qu’ils défendent le droit de chacun à penser librement , à croire librement, à vivre libres, avocat(e)s, journalistes, artistes, professeur(e)s, écrivain(e)s, actrices, acteurs de la solidarité internationale… et beaucoup d’autres, femmes et hommes que leur conscience, que leur humanité, leur amour de la liberté et de la justice met en danger, nous ne faisons guère la relation entre ces actes barbares et notre propre cheminement, notre propre engagement.
Lorsque la barbarie frappe à notre porte, jette du sang sur notre seuil, nous prenons soudain conscience de la fragilité de nos démocraties, du courage de ceux qui se battent pour les défendre, et du poids de notre propre indifférence, parfois, face à ces assassins qui n’ont de cesse d’œuvrer pour les détruire, face aux lâches, surtout, qui les y poussent.
Un enfant d’ici, un enfant d’ailleurs, c’est notre enfant. Le poids de l’obscurantisme, de l’inégalité, de l’injustice parfois institutionnalisée, de la souffrance, est le même pour tous, comme est universel leur droit de pouvoir manger à leur faim, étudier, se soigner, penser par eux-mêmes et s’exprimer et agir librement.
Je voudrais qu’à cette heure de stupéfaction, d’émotion et de colère, nous portions tous, aussi, notre regard un peu plus loin. Notre monde est devenu petit. L’inacceptable misère est là, tout près, qui broie des enfants que nous pourrions sauver. La pandémie du Covid 19, dans le grand silence qui nous étouffe, dans le grand désordre de l’information délétère qui crée ce silence, fera 120 millions d’enfants déshérités de plus cette année dans le monde, des dictatures sanguinaires fleurissent, dans l’impuissance générale. Quelques millions de plus d’enfants déshérités de tout ce qui est leur droit le plus élémentaire, et de leur droit de penser et d’être éduqués pour devenir des êtres humains à part entière. Il y a des enseignants qui se battent, dans tant de pays du monde où le mot démocratie est une insulte ! Tant de gens qui, dans la rue, risquent leur vie pour gagner ces droits !
Que notre désarroi, notre révolte ne nous amènent pas à fermer nos portes, à nous recroqueviller sur nous-mêmes, à accepter des compromissions de confort.
« Vivre un peu plus simplement, pour que d’autres, simplement puissent vivre », mais aussi s’engager un peu plus pour que tous, ici et là-bas nous puissions rester libres.
Gérard