Le nouvelliste 26 mars.
1 heure 43. Chemise à carreaux, pantalon noir, cache-nez au visage, un jeune, dans la trentaine, est assis devant la salle de triage de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH). Il est consumé par une peur bleue, visible à tout venant. Le médecin qui l’a examiné lui a confirmé qu’il présente tous les signes et symptômes du nouveau coronavirus : douleur pharyngite, douleur respiratoire, toux, fièvre. Pas de salle de quarantaine disponible, le patient attend l’arrivée d’une équipe du Laboratoire national pour être dépisté. Le médecin qui l’a examiné, sachant que si son diagnostic clinique se révèle confirmé, admet que ce patient peut contaminer les malades en quête de soins. « J’ai demandé de placer le patient en quarantaine, on est jamais venu ouvrir la salle aménagée à cet effet », a-t-il expliqué au journal. Toutefois ce dernier n’était pas bien informé de la situation.
La salle de quarantaine n’est pas encore fonctionnelle, affirme le Dr Reynal Bastien, médecin résident en service social. Cette salle de quarantaine n’est autre que l’ancien bureau des archives, situé près de la salle des urgences de la médecine interne. Elle ne peut pas accueillir trois personnes à une distance d’un mètre 50. Un patient risque de contaminer un autre si trois personnes sont mises en quarantaine dans cette salle. « On n’a pas fait grand-chose jusqu’ici. C’est pourquoi les médecins ont déserté l’hôpital », a tranché le médecin qui figurait parmi les agents du personnel de santé remarqués ce mardi 23 mars au plus grand centre hospitalier du pays.
Un peu partout à l’hôpital des seaux d’eau et du savon sont placés. Il y a de l’eau en permanence mais pas plus que cela. « Vous ne trouverez pas de solution hydroalcolique dans tous les services ni de gants », a ajouté le Dr Bastien, soutenant que rien n’est fait pour le personnel de santé. Les médecins résidents demeurent à leur résidence mais ne se présentent pas à l’hôpital. Ils ne veulent pas exposer leur vie. Le ministère de la Santé publique et de la Population avait annoncé disposer, pour les prestataires de soins, un modèle d’équipement de protection individuelle (EPI) pour se protéger du nouveau coronavirus. « J’ai plus de 24 heures avec ce masque au visage. La semaine dernière, on m’a donné trois masques : le modèle N95, mais je ne peux pas me prononcer sur sa qualité », a expliqué le Dr Frandy Murenat, soulignant qu’il n’y a pas un téléphone renfloué à l’hôpital pour contacter le service d’épidémiologie si on enregistre un cas suspect.
En l’article 2 de l’arrêté présidentiel relatif à l’état d’urgence décrété, le gouvernement a annoncé qu’il « prendrait les dispositions appropriées pour fournir aux hôpitaux des masques, des gants, des médicaments, des solutés et toutes autres fournitures médicales nécessaires ». Le professionnel de santé à l’HUEH dit attendre encore ces équipements. Pour le moment, ils fuient l’hôpital. Le journal a constaté que les activités étaient à l’arrêt. Les services étaient quasiment paralysés. Le journal a aussi constaté qu’il y n’y a aucune disposition prise pour respecter la distanciation sociale. Les malades sont entassés les uns sur les autres. « Avant l’introduction de la maladie dans le pays, les services marchaient au ralenti. Après la confirmation du virus dans le pays, rien ne marche ici », a fait savoir le Dr Bastien.
En moins d’une semaine, le ministère de la Santé publique a recensé sept cas avérés du nouveau coronavirus. Quatre cas ont été confirmés dans le département de l’Ouest, deux dans le département du Sud-Est et un dans l’Artibonite.
Publié le 2020-03-26 | Le Nouvelliste (Extrait)
En réduisant chaque année le budget de la santé, les autorités ont entretenu l’impréparation d’Haïti à faire face au coronavirus.
L’expansion de la pandémie de coronavirus constitue un sérieux examen à passer par le système sanitaire mondial qui est un peu partout mis à rude épreuve. En Haïti, où les premiers cas de coronavirus ont été officiellement identifiés la semaine dernière, la plus grande crainte, au-delà d’une carence flagrante de sensibilisation de la population, demeure à ce jour le délabrement total dans lequel patauge notre système de santé. Ce dénuement n’est autre que la résultante d’une politique consistant à réduire comme une peau de chagrin d’année en année la part du budget national allouée à la santé.
« L’amélioration des conditions sanitaires en Haïti n’a jamais été une vraie préoccupation pour les autorités au cours de ces 5 dernières années », affirme l’économiste Riphard Serent après avoir calculé rapidement que le ratio dépenses d’investissement en santé par tête d’habitant en Haïti est passé d’environ quatre dollars américains en 2016 à moins d’un dollar en 2018.
À titre d’illustration, Haïti est classé en 34e position sur la liste des 34 pays de l’Amérique qui dépensent le moins en santé, selon le rapport quinquennal (2013-2017) de l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS) intitulé « Santé dans les Amériques 2017 ».
Selon ce rapport, Haïti a investi moins de 2% de son produit intérieur brut (PIB) en soins de santé au cours des cinq dernières années alors que le minimum recommandé est de 6%. Avec seulement 4,3% de son budget alloué à la santé, au moment de la publication de ce rapport, Haïti demeure loin des recommandations de l’OPS/OMS qui suggère que 15% des dépenses en santé doivent provenir du budget national dans les pays à faible revenu.
Sur la dernière décennie, les dépenses d’investissement de l’État haïtien dans la santé n’ont pas pu suivre un rythme constant, linéaire. Elles ont plutôt été consenties de manière sinusoïdale allant d’un pic de 9,48 milliards de gourdes durant l’exercice 2012-2013, soit le plus haut jamais atteint sur la période, pour chuter considérablement à 606 millions de gourdes dans le budget rectificatif de l’exercice 2017-2018.
Des choix douteux
Dans le budget 2017-2018, il a été alloué au ministère de la Santé publique et de la Population 6.1 milliards de gourdes pour plus de 12 millions d’Haïtiens et 7.2 milliards de gourdes au Sénat et à la Chambre des députés.
« Comparés aux largesses reçues par le Parlement, les médecins auront peu de moyens pour résoudre les problèmes de santé », a écrit Frantz Duval dans son éditorial du 29 septembre 2017 intitulé « 7.2 milliards de gourdes pour 146 élus, 6.1 milliards de gourdes pour la santé de 12 millions d’Haïtiens ».
« Ne pas investir suffisamment de ressources financières, et ne pas s’assurer d’une gouvernance efficace de ce secteur dans l’histoire de ce pays est un choix de pauvreté et cela participe de l’agenda anti-développement », estime l’économiste Etzer Émile, invitant les dirigeants à considérer le budget de la santé non pas comme une dépense, mais comme un investissement à retour sûr et substantiel sur le développement humain et sur l’économie.
« Il existe un lien étroit entre le niveau des infrastructures sanitaires d’un pays et la productivité du travail ainsi que l’espérance de vie de la population », renchérit Riphard Serent.
« L’impréparation d’Haïti est flagrante »
« Haïti n’a jamais mis en place aucune infrastructure sanitaire pour faire face à la moindre épidémie », déplore Énomy Germain, relevant que le pays a toujours préparé son impréparation sanitaire. Il tient pour acquis la vacuité d’infrastructures sanitaires actuelle pour faire face à la pandémie mondiale de coronavirus qui vient de s’introduire en Haïti.
« À ma connaissance, dans un pays de 10 à 11 millions d’habitants, il y a moins de 30 lits en soins intensifs », vient de déclarer, à propos de la situation d’Haïti, le Dr Paul Farmer, fondateur de Zanmi Lasante, dans une interview accordée à la radio publique américaine NPR.
« Une fois que la reprise de l’économie sera au rendez-vous, au cours de la période post-Covid-19, les acteurs de la société civile doivent exiger de l’État des parts beaucoup plus importantes dans le budget en faveur du secteur de la santé », préconise Riphard Serent. De plus, propose-t-il, les chercheurs dans le domaine doivent profiter du Fonds BRH pour la recherche et le développement en vue de réaliser des travaux scientifiques capables de susciter de meilleures politiques publiques dans le secteur en faveur de la population la plus vulnérable.
Lire l’article publié dans le Nouvelliste du 26 mars sur l’aide au temps du Corona Virus.
Cet article dénonce la situation de dépendance d’Haïti et la manipulations des images sur les aides internationales.