Pour une République d’Haïti coopérative.. (M. Laguerre)

(actualisé le ) par Gérard

Pour une république d’Haïti Coopérative
Par Bel Aval M. LAGUERRE

Voici un article qui date de 2008, qui pose les problèmes des coopératives. Curieusement, l’auteur n’aborde qu’un type de coopérative : les caisses populaires…comme si les autres organismes de ce type n’existaient pas vraiment. Cependant, tout en définissant les termes, il fait un constat et avance quelques propositions intéressantes.

La constitution de la république d’Haïti, dans son article un (1), consacre Haïti comme étant une république coopérative. Pourtant, au regard de la réalité quotidienne haïtienne, il est à se demander dans quelle mesure cet article de la loi mère sera appliqué. Dans un souci d’aider davantage à l’avancement du mouvement coopératif en Haïti, nous voudrions, à travers la publication de cet article, définir d’abord une coopérative, présenter les principes régissant le fonctionnement et la structure d’une coopérative, faire un survol sur la problématique des caisses populaires en Haïti pour enfin proposer quelques éléments de solution relatifs à la nécessité de faire d’Haïti une république réellement coopérative.

I- Qu’est-ce qu’une coopérative ?

Une coopérative, en effet, est une entreprise appartenant conjointement aux membres qui utilisent ses services. Tous les membres d’une coopérative sont des décideurs d’importance égale grâce au système démocratique « un membre, un vote ». En retour, tous les membres partagent les avantages de la coopération selon leur degré d’utilisation des services offerts.
Les coopératives prennent des formes diverses et elles existent dans tous les secteurs de l’économie. Toutefois, elles sont généralement créées par un groupe de personnes ayant un besoin commun. En mettant leurs ressources en commun et en travaillant ensemble, les membres peuvent répondre à ce besoin au moyen de la coopérative. Bien qu’elles remplissent une vaste gamme de fonctions, les coopératives correspondent généralement à l’un des cinq types suivants :
• les coopératives de consommateurs : elles offrent des produits ou des services à leurs membres (p. ex. une coopérative de vente au détail, d’habitation, de soins de santé ou de garde d’enfants) ;
• les coopératives de producteurs : elles traitent et commercialisent les biens ou les services de leurs membres ou fournissent les produits ou les services nécessaires aux activités professionnelles de leurs membres (p. ex. entrepreneurs indépendants, artisans ou agriculteurs) ;
• les coopératives de travail : elles fournissent du travail à leurs membres. Dans ce type de coopérative, les employés sont à la fois les membres et les propriétaires de l’entreprise ;
• les coopératives multi-partenaires : elles répondent aux besoins de divers groupes d’intervenants tels que des employés, des clients, des organisations et des particuliers intéressés ; ce type de coopérative est habituellement associé au domaine de la santé, des soins à domicile ou à d’autres entreprises sociales ;
• les coopératives financières : ces coopératives offrent des services financiers, prêts ou placements, et des services d’assurances à leurs membres. Elles sont la propriété des membres usagers ou des souscripteurs d’assurances. (Exemples : caisses populaires, caisses d’économie, crédit unions, coopératives d’assurances, mutuelles).

Les coopératives existent à la fois pour des raisons économiques et sociales. Bien qu’elles aient pour but de répondre aux besoins communs de leurs membres, elles favorisent aussi leur développement grâce à leur participation à la gouvernance démocratique de l’entreprise. Parallèlement, les coopératives entreprennent habituellement des activités qui contribuent au développement social ou économique à l’échelle locale telles que la création d’emplois ou la prestation de biens et de services. De fait, une coopérative est une entreprise et une association.
Part des membres et ristournes : Le capital de démarrage d’une coopérative provient habituellement des parts achetées par les membres de la coopérative, et une portion de tout excédent généré par la coopérative peut être retournée aux membres sous forme de ristourne. Ce type de revenu est différent des profits provenant d’un capital investi, car il est fondé sur le degré d’utilisation des services de la coopérative, et non sur le nombre de parts que les membres détiennent dans la coopérative. Certaines coopératives sont structurées comme des entités sans but lucratif, telles que les coopératives d’habitation, de soins de santé et de garde d’enfants. Ces coopératives ne versent pas de ristourne.

II- Les principes coopératifs

Les principes coopératifs constituent la ligne directrice qui permet aux coopératives de mettre leurs valeurs en pratique. L’Alliance de Coopérative Internationale (ACI) est l’instance décisionnelle qui élabore les principes, au nombre de sept (7) qui sont :

1.- Adhésion volontaire et ouverte à tous

Les coopératives sont des organisations fondées sur le volontariat et ouvertes à toutes les personnes aptes à utiliser leurs services et déterminées à prendre leurs responsabilités en tant que membres, et ce sans discrimination fondée ni sur le sexe, l’origine sociale, la race, l’allégeance politique ou la religion.

2.- Pouvoir démocratique exercé par les membres

Les coopératives sont des organisations démocratiques dirigées par leurs membres qui participent activement à l’établissement des politiques et à la prise de décisions. Les hommes et les femmes élus comme représentants des membres sont responsables devant eux. Dans les coopératives, les membres ont des droits de vote égaux en vertu de la règle « un membre, une voix ».

3.- Participation économique des membres

Les membres contribuent de manière équitable au capital de leurs coopératives et en ont le contrôle. Une partie au moins de ce capital est habituellement la propriété commune de la coopérative. Les membres ne bénéficient habituellement que d’une rémunération limitée du capital souscrit comme condition de leur adhésion. Les membres affectent les excédents à tout ou à une partie des objectifs suivants : le développement de leur coopérative, éventuellement par la dotation de réserves dont une partie au moins est impartageable, des ristournes aux membres en proportion de leurs transactions avec la coopérative et le soutien d’autres activités approuvées par les membres.

4.- Autonomie et indépendance

Les coopératives sont des organisations autonomes d’entraide, gérées par leurs membres. La conclusion d’accords avec d’autres organisations, y compris des gouvernements, ou la recherche de fonds à partir de sources extérieures, doit se faire dans des conditions qui préservent le pouvoir démocratique des membres et maintiennent l’indépendance de leur coopérative.

5.- Éducation, formation et information

Les coopératives fournissent à leurs membres, leurs dirigeants élus, leurs gestionnaires et leurs employés, l’éducation et la formation requises pour pouvoir contribuer effectivement au développement de leur coopérative. Elles informent le grand public, en particulier les jeunes et les leaders d’opinion, sur la nature et les avantages de la coopération.

6.- Coopération entre les coopératives

Pour apporter un meilleur service à leurs membres et renforcer le mouvement coopératif, les coopératives oeuvrent ensemble au sein de structures locales, nationales, régionales et internationales.

7.- Engagement envers la communauté

Les coopératives contribuent au développement durable de leur communauté dans le cadre d’orientations approuvées par leurs membres.

III- Structure d’une coopérative

Une coopérative fonctionne selon les règles de la démocratie. Elle est généralement dirigée par des structures décidées préalablement par ses propriétaires (assemblée générale). En général, comme la loi le prévoit, les coopératives comprennent l’assemblée générale, le conseil d’administration, le comité de déontologie ou de surveillance, le comité d’éducation, etc. Chez nous en Haïti, dans les caisses populaires, branche la plus rependue, on trouve comme structure, l’assemblée générale, le conseil d’administration, le comité de crédit et le comité de surveillance. Le conseil d’administration de la caisse a quant à lui, confié la gestion quotidienne de la caisse à un Directeur général.

IV. Le cas des caisses populaires

Depuis d’antan, le montage et le fonctionnement d’une coopérative n’ont jamais été chose facile en Haïti. On n’a qu’à lire la fameuse loi de 1981 sur les coopératives pour comprendre comment il était difficile pour les coopératives de fonctionner. D’ailleurs, on assimilait le plus souvent à des activités politiques toute tentative de mettre sur pied ou de se réunir pour la cause des coopératives sous les régimes de l’époque. Depuis 1987, en dépit d’un changement de conjoncture, il a fallu attendre jusqu’en 2002 pour la promulgation d’une loi sur les caisses populaires. Ainsi, c’est à la suite de la débâcle phénoménale qu’à connu le secteur avec l’arrivée des caisses pyramidales de 10% qu’on a eu la fameuse loi du 26 juin 2002 qui, désormais, implique la Banque de la République d’Haïti dans ce secteur à travers la Direction de l’Inspection Générale des Caisses Populaires (DIGCP) pour y assurer un contrôle à part entière.

Par ailleurs, en 1995, le Développement International Desjardins (DID) est introduit en Haïti pour apporter un appui technique bien mérité au mouvement grâce au support financier de l’ACDI. Par la suite, une trentaine de caisses se sont regroupées sous le label de l’Association Nationale de caisses Populaires Haïtiennes (ANACAPH). Depuis, le nombre de caisses a augmenté considérablement. Certaines grandissent et maintiennent une gestion saine axée sur les grands principes de management alors que d’autres restent stagnantes. Selon un rapport publié par la DIGCP de la BRH en juillet 2005.

V. La problématique des caisses populaires en Haïti

En dépit des apports venus de part et d’autre, l’avenir des caisses populaires est encore incertain. Les besoins sont énormes. Les événements des années 2000 ont souillé en quelques sortes l’image du mouvement. L’épargne collectée est insuffisante pour financer le besoin de crédit des membres. Les élites ignorent même l’existence du mouvement. Le développement du secteur se fait lentement alors que les institutions financières formelles avancent à grand pas. Les caisses se sont obligées de se conformer au cadre légale de fonctionnement existant alors que d’autres secteurs principales concurrentes, opèrent leur opération de collecte de l’épargne et d’octroi de crédit dans l’illégalité totale sans aucun cadre légal sous l’oeil impuissant de la BRH. Ainsi, dans les lignes qui suivent nous nous proposons de lister quelques problèmes identifiés qui, d’après nous, handicapent le développement harmonieux des caisses, voire du mouvement tout entier. Ce sont :

a) ressources humaines : depuis bien des années, beaucoup de cadres quittent le pays. Les caisses ne disposent pas de ressources financières suffisantes pour embaucher ceux-là encore qui décident de rester dans le pays et qui sont le plus souvent bien casés. Ce qui réduit les marges de manoeuvre du secteur dans l’adoption de stratégies valables devant aider à collecter beaucoup plus d’épargne.

b) ressources financières : les caisses populaires ne sont pas toujours pourvues de ressources humaines valables pour monter de bons plans de marketing d’une part, et d’autre part, même avec des plans de marketing bien élaborés, un environnement convenable s’avère important, voire indispensable pour l’application de tout plan. Or, depuis la crise de 2002 qui a souillé l’image du secteur tout entier, la population en garde encore un goût amer et redoute la répétition d’un tel désastre. Les bailleurs de fonds quant à eux financent d’autres secteurs au détriment des caisses parce que d’après eux, les caisses disposent légalement les moyens de capter des dépôts. Rappelons qu’au Québec, qui est une grande province du Canada, sur chaque trois (3) québécois, deux détiennent un carnet dans la caisse Desjardins alors que, chez nous, sur plus de huit millions d’habitants, nous demandons combien sont membres d’une caisse.

c) gouvernance : les dirigeants de caisses sont animés de bonne volonté certes, mais il faut beaucoup plus que la bonne volonté pour la gestion d’une institution financière. En dépit de cette bonne volonté qui d’ailleurs est visible, ils sont pour la plupart quasi-dépourvus des capacités techniques et de vision stratégique pour mener le secteur à bon port.

d) la relève incertaine : les dirigeants qui étaient à la tête des caisses, il y a dix ans sont pour la plupart les mêmes aujourd’hui encore. Nous en sommes d’accord. Cependant, n’a-t-on pas pensé à la relève ? N’a-t-on pas imaginé que l’avenir dépend surtout de jeunes ? Plus on est expérimenté, plus on est capable de mieux diriger certes, mais plus on vieillit, moins on est dynamique. Il est à constater que certaines personnes n’ayant rien à voir avec la direction d’une institution financière fassent partie d’un conseil dans l’unique but que leur fin ne soit pas précipitamment provoquée. Certainement, nous ne voulons pas la mort de quiconque, mais toutefois, nous pensons que les choses doivent se faire de manière plus sérieuse pour ne pas mettre en péril le dépôt des membres.

e) le bénévolat : contrairement aux secteurs financiers traditionnels dont les membres du conseil d’administration sont des salariés, les caisses populaires utilisent des dirigeants bénévoles pour les conseils et les comités. Or, ceux qui sont susceptibles d’apporter de bonnes idées dans un conseil d’administration ne peuvent pas toujours laisser leurs activités génératrices de revenue pour aller travailler bénévolement. N’est-ce pas une question de coût d’opportunité.

f) absence de cadres infrastructurels dans les lieux reculé : nos caisses sont pour la plupart dans des zones très reculées. Pour diriger les caisses, il faut un bagage minimum. Les cadres susceptibles de mener à bon port une caisse ne sont pas toujours intéressés à laisser la capitale pour se rendre en province parce que, une fois arrivés sur les lieux, ils sont privés, à cause de la carence chronique des infrastructures de base, du minimum nécessaire pour leur formation continue, leur information et leurs loisirs le cas échéant.
g) taille : Haïti est une place ou chacun évolue sans tenir compte des règles de marché les plus élémentaires. On préfère périr seul que de réussir ensemble. En effet, Beaucoup de petites caisses opèrent actuellement à travers toute la république. Souvent, elles n’existent que de nom et ne se distancient pas plus que de quelques kilomètres alors que chacune d’elles fait face aux mêmes difficultés qui sont le plus souvent liées à leur taille. Elles sont quelque fois en faillite sans que leurs dirigeants le sachent même pas. D’ailleurs, les dirigeants sont très conservateurs et écartent toute possibilité de se fusionner avec une autre. Or, la réalité économique veut que les entreprises soient de grande taille pour réaliser des rendements d’échelles.

h) quasi-méconnaissance du secteur des élites : la caisse populaire existe pour résoudre les problèmes financiers d’un nombre important de personnes. Malheureusement, beaucoup de secteurs notamment, les pouvoirs publics, la presse, l’université et même les élites ignorent le plus souvent son existence. Et de fait, n’accordent pas d’importance a tout ce qui se rapporte aux coopératives.

i) absence de plan national : régulièrement, les pouvoirs publics prononcent de beaux discours mais leur demander ce qu’ils ont en terme de plan, ils ne sont pas prêts à donner une réponse satisfaisante. Entre temps, beaucoup d’aides viennent de l’extérieur et sont exécutées par d’autres instances non étatiques. A cause d’une absence de plan national élaboré par l’état indiquant ses priorités, les places de chacun, les besoins dans un domaine ou dans un lieu quelconque, on retrouve parfois plusieurs institutions différentes intervenir pour financer une même activité. Alors que de telles ressources pourraient être utiles à d’autres fins. Le secteur des coopératives, faisant partie du pays, n’en est pas épargné.

Bref, nous avons présenté ce que c’est une coopérative, ses structures, ses principes et son mode de fonctionnement. Nous en avons donné les différents types et nous nous sommes arrêtés sur le modèle de caisse populaire. Nous avons dressé plusieurs problèmes qui empêchent le bon fonctionnement du mouvement dans son ensemble. Nous allons proposer des solutions qui, bien que ne se soient pas des panacées, peuvent d’après nous, contribuer largement à donner un nouvel élan au secteur pour une république vraiment coopérative.

Ainsi, nous proposons :

1. L’intégration dans les rangs des dirigeants actuels des coopératives, des jeunes qui, après un apprentissage soutenu, pourront remplacer graduellement les dirigeants qui sont frappés d’incapacité.
2. L’édiction des normes prudentielles valables et réalistes par la BRH contraignant les petites caisses au bord de la faillite à se fusionner ou à se faire racheter par une plus grande.
3. La régularisation de toute activité de collecte de dépôt notamment celles pratiquées par le secteur informel.
4. la préparation d’un cadre légal régissant le fonctionnement des institutions de microfinance non coopératives ou la mise en place des structures devant transférer graduellement l’exercice de toute activité d’épargne et de crédit uniquement aux institutions préposées à le faire suivant le prescrit de la loi.
5. L’intégration de l’enseignement coopératif dans les curricula de nos écoles et de nos universités pour que les jeunes se laissent mieux immergés de ce qu’est l’économie solidaire.
6. La mise en place d’une secrétairerie d’état aux coopératives pour renforcer le secteur. D’ailleurs nous faisons partie d’un secteur regroupant beaucoup plus d’adhérents en Haïti. Depuis 2005, suivant une étude de la BRH, nous étions déjà au nombre de six cent trois (603,000) mille, Membres de caisses populaires. Aujourd’hui en 2008, nous sommes encore plus importants en nombre et en valeur. Ce qui justifie l’importance de notre participation aux grandes décisions devant engager la nation.
7. La mise à la disposition du secteur, des fonds de garantie permettant de financer finalement les plus pauvres et les jeunes venus de l’université dépourvus de garantie, des jeunes venus des quartiers défavorisés n’ayant de garantie que leur projet.
8. La conception d’un mode d’incitation pour les dirigeants de caisses devant compenser leur temps de travail.
9. L’élaboration d’un plan de développement durable impliquant tous les secteurs vitaux.
10. La mise à la disposition du secteur des coopératives en générale et des caisses populaires en particulier des moyens nécessaires pour la constitution d’un forum visant non seulement à refaire l’image du secteur, mais à faire connaître ses bienfaits à tous.