Le quartier de Solino (Port au Prince) à feu et à sang

Alors qu’un gouvernement provisoire est en place depuis 6 mois, rien ne semble avoir changé quant à l’insécurité, la violence, les massacres de la population.
Désormais, les enfants, très jeunes, embrigadés de force par les gangs, armés font partie des assassins. C’est un désastre dont le pays aura du mal à se relever...si toutefois un jour, les choses reviennent à la normale.

Un article du nouvelliste

Six mois après la prise de fonction officielle du Conseil présidentiel de transition et environ quatre mois après l’installation du Premier ministre Garry Conille, la transition tant espérée pour tenter de remettre Haïti sur la voie de la normalité bat encore de l’aile.
En effet, à part la tête des chefs, pas grand-chose de changé dans le paysage haïtien. La cherté de la vie, le chômage, l’insalubrité des rues, l’arrêt des activités scolaires et économiques dans certaines artères de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, l’impossibilité de circuler sur une bonne partie de nos routes nationales demeurent à date des défis auxquels les nouveaux dirigeants tardent à trouver la bonne parade.

Face à cette situation étouffante qui réduit les rues de Port-au-Prince et même celle de certaines villes de province en de véritables guêpiers, la population se désespère davantage au fil des jours. Etant les champions de la débrouillardise, les Haïtiens ne réclament de l’Etat haïtien que la garantie de pouvoir circuler sans contrainte et s’adonner à leurs activités quotidiennes. Malheureusement, à cause de l’insécurité ramifiante qui touche tous les secteurs et asphyxie l’économie depuis tantôt une décennie, la population prisonnière se retrouve sans aucune alternative face aux assauts terroristes des gangs et la veulerie des autorités étatiques.

Au comble de son désespoir, le peuple haïtien ne peut même pas compter sur le support des « Amis d’Haïti » pour le sortir de pétrin. Les Etats-Unis, la France, le Canada après plusieurs années n’arrivent pas à trouver la bonne formule pour aider Haïti à se libérer des griffes des bandits qui blessent, violent, tuent et pillent sans répit une population déjà aux prises avec l’extrême pauvreté. Sous la menace des bandes armées qui occupent plus de 80% de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a recensé environ 750 000 habitants qui ont fui leur résidence pour aller chercher refuge dans des villes de province, se loger à la belle étoile dans des espaces publics ou solliciter de l’aide dans des centres d’hébergement.

Pendant que le pays se referme comme un étau sur ses citoyens en difficulté, la République dominicaine a choisi ce moment pour déverser (parfois de façon arbitraire) des milliers de compatriotes qui vivaient illégalement en terre voisine. Des employés d’ambassades étrangères travaillant en Haïti ont été sommés par leurs pays de quitter Port-au-Prince d’urgence. Des "pays amis" dotés des moyens d’aider Haïti à se défaire de l’étau des gangs criminels se sont ravisés. Alors, le Conseil de sécurité de l’ONU a fait choix du Kenya pour diriger une Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) en Haïti.

Près de quatre mois après le début du débarquement de cette mission, Haïti se trouve plus que jamais sous le contrôle des gangs. De nouveaux quartiers sont venus s’ajouter sur la liste des zones déjà contrôlées par les bandits, sans compter plusieurs nouveaux massacres orchestrés par les bandes armées, occasionnant des centaines de nouvelles victimes parmi la population civile, toujours pendant la présence de la MMAS.

Même les matériels des organismes internationaux s’activant dans le pays ne sont pas épargnés. Une voiture appartenant à l’ambassade américaine a été la cible des bandits il y a quelques jours dans les parages de l’ambassade même à Tabarre. Un hélicoptère de l’ONU a été également touché par plusieurs projectiles en survolant « Village-de-Dieu », le territoire commandé par le gang « 5 Segonn ». Cela prouve la force de frappe et aussi l’arrogance des membres de la coalition Viv Ansanm.

Malheureusement, loin d’encadrer les forces déjà présentes sur le terrain et les doter de moyens pour pouvoir faire face aux gangs, à la surprise générale, il a été décidé par le Conseil de sécurité de l’ONU la reconduction pour une durée d’un an, de l’embargo sur les armes sur Haïti.

Est-ce la meilleure façon de lutter contre l’insécurité en Haïti ? Seules les victimes des gangs armés ont la réponse à cette question.

Cyprien L. Gary

Terreur dans le quartier de Solino : les violences de la coalition « Viv Ansanm » plongent la population dans l’horreur
Depuis le 17 octobre, le quartier de Solino, en périphérie de Port-au-Prince, vit un véritable cauchemar.

Par Le Nouvelliste
29 oct. 2024
Une femme pleure alors qu’elle fuit son quartier après que des gangs armés ont terrorisé les quartiers de Delmas 24 et Solino à Port-au-Prince le 26 octobre 2024.
Clarens SIFFROY / AFP

Depuis le 17 octobre, le quartier de Solino, en périphérie de Port-au-Prince, vit un véritable cauchemar. La coalition de gangs connue sous le nom de « Viv Ansanm » y mène une série d’attaques violentes et systématiques. Solino, autrefois réputé pour sa tranquillité relative et son groupe de rara emblématique « Shabba Level », n’est désormais plus que l’ombre de lui-même.
Les rues sont désertes, des maisons incendiées, des murs criblés de balles – un décor apocalyptique qui s’affiche dans des vidéos filmées par des résidents encore sur place, tentant de documenter l’horreur pour le reste du monde. Solino est le dernier quartier tombé sous l’emprise des gangs depuis l’ère CPT-Conille.
Les bandits eux-mêmes, comme pour défier les chefs, tournent des vidéos où ils exposent leurs nombreux forfaits. Dans une vidéo de 32 secondes disponible sur les réseaux sociaux, dans l’ombre de la nuit, on y voit les bandits marcher dans les rues pavées de ce quartier alors qu’en tête du peloton, l’un des bandits manu militari ouvre la voie à ses acolytes, alors qu’à l’autre bout de la rue, on aperçoit un incendie. « Nous ne circulons pas de rumeurs… Les punaises sont à pied d’œuvre… Nous allons incendier ces maisons », dit celui qui semble être le chef du petit groupe. Sur cette même vidéo, on constate les bandits pénétrés dans une maison, où ils interpellent un vieillard se présentant sous le nom de « Blan ».

Les résidents de Solino sont pris au piège d’un siège où aucune trêve ne semble possible. Pour les familles qui n’ont pas pu fuir, le quotidien se résume à un combat pour survivre dans un environnement où la peur est omniprésente. Dans une autre séquence partagée sur les réseaux, les criminels mettent le feu à un dépôt alimentaire et s’en prennent verbalement à un certain « Dyaspora », dont ils affirment détruire la maison de la mère. Les insultes fusent, accompagnées de menaces claires : « Viv ansanm ne fait pas courir de rumeurs. Regardez où nous sommes présentement. Ils disent toujours que Solino est New-York… Maintenant Solino est en feu », dit l’un des caïds alors qu’ils montrent des maisons encore en flamme et des enfants et adolescents armés se pavanant dans la rue.
La coalition Viv Ansanm a mis en place une stratégie bien rodée d’attaques ciblées visant à punir les résidents pour leur refus de collaborer avec eux. Selon les témoignages recueillis sur Magik 9, les offensives se concentrent principalement autour de Koridò Bastia, Saint Michel et Anglade, trois zones particulièrement touchées par les incendies et les exécutions sommaires. « Les gangs contrôlent près de 30 % de Solino », a précisé un résident lors d’une interview ce mardi 29 octobre 2024, ajoutant que le quartier paie le prix de sa résistance face aux pressions des gangs.
Les autorités, bien que présentes sporadiquement, peinent à instaurer un climat de sécurité durable, regrette le résident intervenant à l’émission Panel Magik. Les appels à l’aide de la population restent souvent sans réponse, laissant les civils à la merci de Viv Ansanm, dont l’influence continue de croître.
Sur les réseaux sociaux, les gangs multiplient les messages de défi, menaçant d’élargir leur emprise à d’autres quartiers après Solino. Face à cette escalade, la peur et l’indignation gagnent du terrain parmi les citoyens, mais aussi parmi les familles de la diaspora qui observent, impuissantes, la destruction d’un quartier autrefois paisible.
Jean Junior Célestin et Jonason Odigène